Cher Theus,
A l'heure où je t'écris, une mésange grignote des miettes de pain sur la terrasse, mon programme informatique rame et fait vrombir mon laptop, Bernard Lavilliers récite un poème de Baudelaire à la radio, le vernis à ongle durcit aux extrémités de mes pieds, les cartons de déménagement attendent de s'emplir. A l'heure où je t'écris, je voudrais être une femme déterminée, au regard clair, gestes amples et longues jambes. Ma traduction s'embourbe, les poils de mes bras dansotent dans le courant d'air qui traverse la cuisine. Le plancher craque et un enfant hurle dans la rue. Le Mont-Blanc est immobile, la bouilloire crachote sa vapeur chaude, mon coeur bat, mes paupières suivent les mouvements de mes globes oculaires, mes doigts tracent des mots. Un beau sentiment monte en moi comme une eau tranquille. Je suis un vase aux cheveux bruns, une vasque cuivrée au nez pointu. Je suis un réceptable et aujoud'hui ce qui monte en moi est transparent et précieux. Demain, ce sera peut-être une pâte visqueuse et putride, mais aujourd'hui je savoure cette eau-de-vie.
Parle-moi de cette femme qui fait irruption dans ta vie. Je ne ressens pas l'aiguillon de la jalousie. De la curiosité, plutôt. Notre relation est loin des ondes de séduction. Divertis-moi. Je suis si concentrée sur moi-même, ces jours. Chacun de mes pas me semble si crucial.
Je t'embrasse. Nul besoin de mon adresse physique, désormais nous pouvons nous fier aux voies moins explorées qui sont les nôtres.
Ada